La Tribune a élaboré un long dossier qui va "Au-delà des blockbusters philosophiques", présentant une sélection originale d'ouvrages de philosophie dont, en belle place, les Exercices d'humanité de Vincent Descombes ! Voici un extrait de l'article.
Rationaliste, Vincent Descombes l'est. Ce directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ne passe pas à la télévision, n'a pas de site internet dédié, mais fait pourtant partie de ces philosophes reconnus et discutés par leurs pairs.
Depuis plus de quarante ans, il élabore une œuvre exigeante jalonnée en moins d'une quinzaine d'ouvrages qui couvrent pratiquement tous les domaines - de la philosophie politique à la métaphysique en passant par la littérature. La publication d'un livre d'entretiens, sobrement intitulé « Exercices d'humanité », avec un autre philosophe, Philippe de Lara, offre une excellente introduction à son travail.
Etudiant, dans les années 1960, il eut pour maîtres Jacques Derrida, Paul Ricoeur, ou encore Cornelius Castoriadis avant d'élargir considérablement son horizon grâce à un long séjour au Canada et aux Etats-Unis. Il y découvre une autre tradition, celle de la philosophie anglo-saxonne, analytique, où l'analyse du langage prime.
Puisant à différents sources pour élaborer son propre travail, Vincent Descombes ne rejette pas la "French Theory", mais n'a jamais goûté la surenchère nietzschéenne ou heideggerienne. Il a été davantage influencé par les travaux de l'anthropologue Louis Dumont, ou encore d'Elisabeth Anscombe, une élève de Ludwig Wittgenstein.
Son travail de réflexion veut répondre à un questionnement spécifique : "Ce que nous croyons savoir, comment le signifions-nous?" Ainsi, celui qu'il mène sur la notion d'identité, en particulier les redoutables problèmes posés pour définir « l'individu collectif ». Par exemple, que signifions-nous lorsque nous disons : "la France". Est-elle la somme des individus français ou bien une totalité qui diffère de cette simple somme ?
Cela paraît technique et pourtant la réponse est essentielle pour le citoyen, par exemple pour comprendre comment aborder l'intégration européenne ? La nation est-elle "soluble" dans une entité plus large comme une fédération ou pas ? Vincent Descombes apporte un subtil éclairage sur ces points.
Pour autant, on ne trouvera pas de recettes. « Les analyses logiques ne vont pas résoudre nos problèmes techniques. Ce qu'elles peuvent faire, c'est nous aider à mieux penser ces problèmes, ou à lever d'énormes confusions dans l'énoncé même de ces problèmes », indique Vincent Descombes.
Autre exemple d'analyse, celle du « moi » dans nos sociétés devenues individualistes : Vincent Descombes réinterprète à cet égard le rapport entre le sujet et l'objet posé par Descartes, en montrant, sous un nouvel éclairage, que la conception de l'auteur du "Discours de la méthode" offre la possibilité d'élaborer une "philosophie de l'action" qui "récuse toute espèce de dualisme" en permettant de "rétablir agent et patient, sujet et objet comme des statuts, comme des positions, comme des fonctions, et non pas du tout comme des entités".
Loin de prendre la pose héroïque du penseur, Vincent Descombes défend une conception de la philosophie qui n'est pas en situation de supériorité mais qui, au contraire, joue un rôle modeste mais, au final, plus solide à long terme : « Ce qu'à mes yeux le philosophe peut faire, c'est attirer l'attention des uns et des autres sur des malentendus et des sophismes qui encombrent nos débats publics et qui font que, surtout sur ces thèmes politiques, on a l'impression de tourner en rond... Le philosophe ne saurait prédire l'avenir. » Nous voilà prévenus.