L'Humanité vous présente le bel ouvrage de Françoise Dastur, Penser ce qui advient, avec un article de Stéphane Floccari.
En véritable philosophe de l’événement, Françoise Dastur propose un esprit politique ouvert. Professeure émérite, Françoise Dastur continue d’explorer sans relâche les œuvres des grands penseurs allemands contemporains, qu’elle a rendus familiers à des générations d’étudiants. On ne s’étonnera pas de découvrir que le titre du dernier opus de cette passionnée de Hölderlin, de sanskrit et de dessin, qui préside l’École française de Daseinsanalyse et a signé une somme philosophique sur la mort devenue ouvrage de référence (1), soit tiré d’une œuvre encensée et contestée, qu’elle n’a cessé de réinterroger. En pleine polémique liée à des cahiers (très) noirs qui sont venus ternir les errances jamais vraiment démenties d’Heidegger, elle n’hésite pas à reprendre à son compte une formule du maître de Fribourg. Celle-ci impose d’endurer " la conjonction de cette ouverture de l’être humain au don de ce qui advient ". C’est bien en philosophe de l’événement, et non seulement du temps, du langage, de la différence anthropologique et de l’art, que Françoise Dastur se livre dans cette série d’entretiens coécrits avec Philippe Cabestan, philosophe et enseignant en classes préparatoires. L’événement y est vu à la fois comme cette intrusion du dehors faisant effraction dans nos vies et comme la structure existentielle qui parle plus de nous que des choses elles-mêmes, tout en permettant d’y être ouvert. Au-delà de la restitution d’un parcours hors norme de jeune étoile de l’école de la République, qui ne donne pas lieu à l’un de ces récits narcissiques dont on se passe volontiers, c’est la dimension politique de l’ouvrage qui retient notre attention. Car elle vient combler non pas une lacune, mais quelque chose comme une béance dans une œuvre aussi dense et cohérente. De la blessure coloniale algérienne et des premières luttes féministes à la critique des formes ultimes de néocolonialisme, économique et culturel, en passant par la mise en question d’une certaine psychiatrie qui prétend réduire l’homme à un fait de nature, on trouve enfin sous sa plume si vive ce dont n’ont jamais douté ceux qui connaissent l’enseignement de cette Cassandre discrète mais têtue d’un monde rendu fou par les techniques et les marchés : un authentique esprit politique ouvert à la pensée de ce qui n’a pas encore de lieu et qui permet à l’homme de se faire autre qu’il n’est.